Histoire du Domaine de La Garde
Un peu de géologie…
Avant d’aborder la longue histoire de ce site et de ses occupants, il est bon d’avoir quelques notions sur le sol du domaine et son relief tant il est vrai qu’ils ont eu une influence certaine sur sa naissance et son évolution. Mais écoutons plutôt le guide Jean-Pierre Blasco :
Un nom très ancien
Ce nom - La Garde - , très répandu dans la France médiévale, apparaît couramment dès le Xe siècle. Le mot signifie alors : « action d’observer, de guetter, d’épier ; lieu d’où l’on épie » (francique « Warda »), « action de garder avec attention en surveillant ou en protégeant » (Chanson de saint Alexis, vers 1050) et « surveillance, attention » (Chanson de Roland, vers 1100). Ce mot « garde » se retrouve, avec ces mêmes sens, dans les mots « regard », « regarder ».
Ces définitions conviennent très bien au domaine de La Garde qui se trouve situé en position dominante, sur un replat, au dessus de la Reyssouze, sur la limite de la commune de Bourg, avec une vue étendue vers le nord et l’est. La présence de plusieurs petites sources a certainement dû favoriser aussi l’implantation de La Garde à cet endroit.
Une ancienne motte féodale ?
L’étude du site, d’après le cadastre le plus ancien, laisse penser qu’il s’agissait à l’origine d’une petite motte féodale comme on en voyait beaucoup dans la région aux alentours de l’an mil. En effet, sur le plan de 1830, on voit que les bâtiments du domaine sont en grande partie entourés par une clôture arrondie qui évoque l’emplacement d’un ancien fossé plus ou moins circulaire.
À la même époque, donc aux alentours de l’an mil, Bourg possédait, dans son environnement proche, au nord de la ville, et comme en avant poste, une autre petite « poype », celle de Torterel, dont on possède un plan ancien.
La Garde, petit fief et domaine agricole
Assez rapidement au cours du moyen-âge, La Garde perdra peu à peu toute utilité militaire et défensive et deviendra tantôt un petit fief, tantôt un simple domaine agricole.
On possède une description assez précise du domaine pour la fin du XVIIIe siècle, dans un état des lieux de 1784, établi lors de la succession de Georges de Bachet, seigneur de Franclieu et de La Garde.
Le domaine était alors composé de deux bâtiments principaux : le plus petit servait pour le logement du fermier et le plus grand pour l’exploitation. Un petit édifice annexe abritait un four et deux loges à pourceaux. Cette disposition se voit encore sur le cadastre de 1830.
La pièce principale, qui servait à la fois de cuisine et de chambre, avait un petit réduit pour le « lavoir » avec sa grande pierre d’évier. Cette pièce principale était accompagnée de deux chambres, dont l’une pour les filles, et d’une « taupière », sorte de petite grange où l’on mettait les gerbes et les grains. Au dessus de ces pièces régnait un grenier auquel on accédait par un escalier extérieur en bois. Les plafonds étaient en planches sur « travons bâtards », c’est à dire sur des chevrons irréguliers.
Le grand bâtiment d’exploitation comprenait une grange pour abriter les « applis » d’agriculture (chars, charrettes, charrues, etc.), une écurie pour les veaux, une grange à foin, une écurie pour les bœufs et une autre encore pour les vaches. À leur extrémité, il y avait aussi un poulailler.
Tous ces bâtiments, logement du fermier et exploitation, étaient construits en pans de bois et torchis à la mode bressane. Dans les parties basses, plus exposées à la pluie et aux rejets d’eau, les « trapans » ou panneaux de torchis avaient souvent été remplacés, au fil du temps, par des briques. L’ensemble était couvert de tuiles creuses de fabrication locale.
Le domaine au temps des Guyot de La Garde
Quelques doutes planent encore sur les divers propriétaires et seigneurs de La Garde au cours du moyen-âge, car on trouve dans les archives, des renseignements parfois contradictoires. Ainsi en 1474-1475, on lit dans les délibérations de la ville de Bourg, à propos d’un droit de moisson revendiqué par les prêtres de Notre-Dame, que la grange de La Garde appartient à un certain Guillaume Blondet. En 1515 Antoine Medici, à propos d’une querelle entre la ville et lui pour une question de pâturage, est appelé le « maître ou seigneur de la grange de La Garde » (dominus grangie de La Garde).
Pourtant, aux même époques et depuis le XIVe siècle et avec beaucoup de constance, les Guyot sont dits seigneurs de La Garde.
La première mention sûre est donnée par l’historien Samuel Guichenon:
« En l’an 1323, Geoffroy Guyot, damoiseau, seigneur de La Garde, Jean et Estienne ses frères firent hommage au Comte de Savoye, de ce qu’ils tenoient en fief de luy à cause de la seigneurie de Bourg ».
L’historien donne ensuite la descendance de ce Geoffroy Guyot, et la généalogie des seigneurs de la Garde, qui, dans de nombreux textes, ne seront plus appelés que « de La Garde ».
Au XVe siècle, on sait que La Garde n’est pas une maison forte ou ne l’est plus, car les grangers sont alors tenus de venir fortifier la ville de Bourg, comme tous ceux des seigneurs qui ne possèdent pas des maisons fortes capables de résister à l’ennemi. On lit en effet, en 1414:
« S’ensuyvent les noms des homes des gentilz homes de la chastellenie de Bourg, lesquelz ne ont maison fort et tenable en ladicte chastellenie ». Parmi eux : « Les hommes de Pierre Guiot ».
De même en 1424, une sentence est prononcée contre les grangers des seigneurs environnants qui ne voulaient pas payer l’impôt de 4 gros destiné à la fortification de la ville de Bourg et, parmi les grangers, figure « Guillielmus Frillion grangerius nobilis Johannis de Garda ».
Parmi les Guyot, seigneurs de la Garde, on peut mentionner spécialement un autre Geoffroy qui épousa une fille de Thomas Guillot, écuyer, connu pour avoir fait construire, en 1443, la chapelle du Sépulcre et une Mise au tombeau, l’un des fleurons de la sculpture du Musée de Brou. L’historien Guichenon écrivait en 1650:
« Il y a trois choses remarquables dans Bourg, la première est la chapelle du Saint-Sépulchre qui est le débris de l’ancien couvent des Cordeliers où est la représentation fort hardie de la sépulture du corps de Jésus-Christ, en statues de pierre, faite aux dépens d’un gentilhomme de Bourg appelé Thomas Guillod, ouvrage qui est admiré par les sculpteurs ».
Thomas fut aussi le constructeur de la Porte des Jacobins où figurent ses armoiries.
De cette union Guyot-Guillot, naquit Amédée Guiot, réfecturier de l’abbaye d’Ambronay et doyen de Jujurieux, dont on voit toujours la pierre tombale armoriée relevée dans le cloître de l’église abbatiale
La pierre tombale d’Amédée Guiot dans le cloître de l’église abbatiale d’Ambronay
On lit sur le pourtour de la pierre:
HIC JACET FRATER AMEDEUS GUIOTI REFECTUARIUS AMBRONIACI ET
DECANUS JUJURIACI
QUI PO[SUIT] SEPULTURAM (EIP…) IN ANNO D[OMI]NI M° CCCC LXXXVI
« Ci gît frère Amédée Guiot, réfecturier d’Ambronay et doyen de Jujurieux, qui plaça cette sépulture pour lui-même, en l’an du Seigneur 1486 ».
Les Guyot seigneurs de La Garde à Tossiat
On ne sait à quelle date, les Guyot de La Garde devinrent seigneurs de la maison forte de La Garde à Tossiat (à 6,5 km du domaine de La Garde). Pendant un temps ce petit fief appartint à la branche cadette de la famille qui donna les seigneurs de Chaillouvres en Dombes. Cette dernière transmit La Garde de Tossiat à ses cousins seigneurs de La Garde à Bourg et c’est ainsi qu’au début du XVIe siècle, un autre Geoffroy (III) de La Garde devint seigneur des deux fiefs de Bourg et de Tossiat.
Geoffroy III partagea ses deux fiefs entre ses enfants : Rolette Guyot, dite de La Garde eut La Garde de Bourg, et ses fils Jean et Jacques eurent La Garde de Tossiat.
La maison forte de la Garde qui occupait l’angle nord-est de la ville, était accolée à la muraille de l’enceinte, mais, côté ville, elle possédait un logis dont on voit ici une ancienne tour d’escalier desservant les étages.
Un écusson au dessus de la porte d’entrée de cette tour présente des armoiries bûchées où l’on reconnaît aisément, à gauche (« à dextre ») celles des Guyot et à droite (« à senestre ») celles des Longecombe. Or on apprend par l’historien Guichenon, que Jacques Guyot (voir plus haut) épousa en premères noces Marguerite de Longecombe au début du XVIe siècle.
On peut donc dater ce logis des années 1510-1530.
La Garde et Bouvent : un destin lié pendant quelques années
Rolette Guyot, fille de Geoffroy III Guyot, reçut le petit fief de La Garde en héritage de son père et le transmit à son mari Antoine de Soria qu’elle avait épousé en 1523. Celui-ci était le médecin attitré de la duchesse de Savoie Béatrice de Portugal, sa compatriote qui l’avait emmené avec elle en Savoie.
En 1534, les époux Soria achetèrent la seigneurie de Bouvent de Catherine de Nom, dite de La Charme, arrière-petite-fille d’Humbert de Bouvent qui vivait vers 1450. A leur mort, Bouvent et La Garde passèrent à leur fils Philibert de Soria. Celui-ci étant mort sans enfant, ces deux fiefs échurent à ses petits neveux, fils et fille de Jean Bachet, seigneur de Mézériat. La fille, Antoinette Bachet, reçut Bouvent qui passa ainsi dans la famille Renibert, tandis que le fils, Claude-Gaspard Bachet, seigneur de Mézériat, hérita de La Garde.
Les Bachet seigneurs de La Garde pendant deux siècles
Les Bachet étaient tous des personnages importants, à la fois par leurs fonctions dans la magistrature qui les firent accéder à la noblesse, mais aussi et surtout par leur science et leur érudition. L’historien Guichenon ne tarit pas d’éloges:
« Voicy une famille à laquelle les bonnes lettres ont autant d’obligations qu’elle leur en peut avoir, car si elles ont procuré à cette maison ce beau titre de noblesse en récompense, elle a produit de rares esprits qui, par leurs ouvrages, ont rehaussé la gloire des sciences ».
Parmi les Bachet possesseurs de La Garde, Claude-Gaspard Bachet, écuyer, seigneur de Mézériat, occupe le premier rang. Ecoutons encore Samuel Guichenon, son contemporain:
« Je n’entreprens point de donner icy l’éloge de ce grand homme, il faudrait une meilleure plume que la mienne. Il me suffit de dire que ça esté un personnage vrayment illustre et doué de rares et éminentes qualités, car il estoit très sçavant en la langue grecque, grand critique, philosophe et théologien, bien versé aux controverses, excellent poëte latin et françois, et l’un des plus doctes mathématiciens que notre siècle ayt produit. Outre cela il estoit d’une conversation si douce et d’un si aggréable entretien qu’il estoyt impossible de le praticquer sans l’aymer. La Bresse a beaucoup perdu en sa mort, ayant esté despouillée de son principal ornement. Il fut en si grande estime de doctrine, que cette célèbre Académie de Paris [l’Académie française] establie pour la réformation du langage françois, le choisit en l’an 1635, pour estre du nombre des quarante dont elle estoit composée » etc.
Claude-Gaspard Bachet fut orphelin dès l’âge de 6 ans et fut ensuite éduqué chez les Jésuites, en Italie, où il acquit une solide culture gréco-latine qui en fit un des plus grands humanistes de son temps. On lui doit une œuvre très diverse : poésies, chants religieux, relations historiques et surtout traductions d’œuvres antiques, telles les Épîtres d’Ovide ou les traités de mathématique de Diophante d’Alexandrie…
Il était d’une santé fragile et ne put pas se rendre à Paris pour prononcer son discours lorsqu’il fut choisi parmi les premiers académiciens, en 1634. Il travaillait surtout dans le calme de son domaine de La Garde. Il mourut le 26 février 1638, à l’âge de 57 ans.
Claude-Gaspard Bachet est surtout connu pour avoir traduit du grec au latin les Livres d’arithmétique de Diophante d’Alexandrie (IIIe siècle). C’est en marge de son exemplaire que Pierre de Fermat déclara avoir démontré « de manière merveilleuse » le théorème disant qu’il « n’existe pas de nombres entiers strictement positifs x, y, z vérifiant l’équation xn + yn = zn lorsque n est un entier strictement supérieur à 2 ». Ce théorème ne fut démontré qu’en 1995 par Andrew Wiles après de savants calculs !
Frédéric de Bachet, dernier seigneur de La Garde, et ses deux émigrations
Au décès de Claude-Gaspard Bachet, en 1638, La Garde passa à son fils Antoine, capitaine au régiment de Navarre, qui vendit ce domaine à son frère Jean en 1665.
Parmi les descendants, citons Claude-Marie Bachet de La Garde, chevalier, coseigneur de Besserel, lieutenant-colonel au régiment de Tournaisis-infanterie, syndic de la noblesse de Bresse, chevalier de l’ordre royal de Saint-Louis.
Au moment de la Révolution, le fief était possédé par Frédéric de Bachet de La Garde, chevalier, lui aussi syndic de la noblesse de Bresse et chevalier de Saint-Louis. Il fut donc le dernier à posséder le titre de seigneur de La Garde.
Il choisit d’émigrer, ce qui entraîna la démolition partielle de son « château », le séquestre de ses biens puis la vente de La Garde comme bien national, le 16 messidor an 3 (4 juillet 1795). Les bâtiments et le tènement d’environ 23 ha furent vendus par l’Etat pour la coquette somme de 151 000 livres à Févelas dit Noël, à Rochon et à Bon-Dufour de Bourg. La terre de l’Etang et le pré de La Rivière formèrent un second lot et furent vendus à Carbon et Regimbal de Bourg, le même jour, pour 56 200 livres.
La Révolution touchant à sa fin, Frédéric Bachet revint à Bourg dès 1797 et vécut avec sa mère qui s’était retirée dans une maison assez modeste, 7 rue de Bourgneuf (actuelle rue de la République).
Bientôt ils purent retrouver leurs biens et les 3/4 du domaine furent rachetés par la mère, le 5 mai 1802. Quant à Frédéric, approchant la trentaine, il songea à se marier. C’est ainsi que le 7 thermidor an X (26 juillet 1802), il épousa Françoise Loubat de Bohan, âgée de 18 ans. Elle lui apportait une belle dot, mais elle mourut après seulement un an de mariage, le 24 septembre 1803. Il ne se remaria pas. C’est sans doute grâce à la dot qu’il put racheter, l’année suivante, le reste du domaine de La Garde.
Sous l’Empire il se fit oublier, mais, en mars 1814, quand les Autrichiens arrivèrent à Bourg, il fut promu commandant de la garde d’honneur à cheval, et c’est à ce titre qu’il accueillit le comte d’Artois [futur Charles X] le 22 octobre.
Au retour de Napoléon, il se précipita pour se mettre sous les ordres du maréchal Ney passé du côté des royalistes, mais quand il vit que celui-ci faisait à nouveau allégeance à l’Empereur, il s’enfuit vers le roi à Gand. Après les Cent-Jours, il fut nommé commandant de la gendarmerie de la Haute-Saône. Mais bientôt il démissionna, revint à Bourg, vendit La Garde à Sabine Mantellier, le 23 décembre 1816 et, l’argent en poche, il partit s’établir, au début de l’année 1817, en Autriche, dans le village de Mariatrost, près de Gratz, où il exploita une ferme. Toutefois l’année suivante il revint à Bourg chercher sa vieille mère qui devait décéder quatre ans plus tard. Lui-même mourut à Gratz, dans son hôtel particulier, en 1843, à l’âge de 72 ans.
La Garde au temps de Frédéric Bachet
L’acte de vente de La Garde à Sabine Mantellier en 1816 porte des indications intéressantes sur le domaine.
Voici un extrait de cette vente: « A comparu Monsieur Marie Joseph Frédéric de Bachet, aîné, chef d’escadron, commandant la gendarmerie du département de la Haute-Saône, demeurant à Vesoul, étant ce jour en la ville de Bourg, lequel vend […] à Mademoiselle Jeanne-Josephte-Claudine-Sabine Mantellier, fille majeure, propriétaire demeurant en cette ville de Bourg, un domaine appelé de La Garde, consistant en bâtiment de maître, bâtiments d’habitation et d’exploitation pour le cultivater, cours, jardins, vergers, terres labourables, prés, bois, blétonnée et taillis […], compris un pré appelé de La Rivière, situé sur la commune de Montagnat et une terre appelée de L’Etang située sur la commune de Bourg ».
La vente comprenait aussi les outils d’agriculture et le bétail: deux bœufs, quatre vaches, quatre veaux d’un an, trois juments et deux poulains, plus douze poules et un coq, vingt pigeons et douze ruches à miel en bois, sans abeilles.
Il y avait aussi des meubles: « un lit dans la chambre qu’occupait Mr de Bachet, une commode de bois noyer à trois tiroirs et un secrétaire, une table ronde et une autre à jouer et une chiffonnière ». Figurent aussi, entre autres meubles, « un bureau avec son dessus formant bibliothèque, un miroir à toilette, une fontaine en faïence » etc.
Le mystère des filles Mantellier
On a vu que le 23 décembre 1816, Joseph Bachet vendit La Garde à Sabine Mantellier, fille de Claude-Marie Mantellier, élu en l’élection de Bresse, et de Louise Dondin. Sabine, qui était célibataire, conserva le domaine jusqu’à son décès survenu le 14 octobre 1824.
Sa sœur Justine hérita de La Garde. Elle était, à cette date, veuve de Claude-François Chossat de Montburon, qu’elle avait épousé le 28 octobre 1789, et qui était décédé dès le 11 janvier 1808. Par ce mariage, elle fit ainsi passer La Garde dans la famille Chossat de Montburon.
Tout est parfaitement clair, mais quand on veut en savoir plus sur l’état civil de ces personnages, on rencontre un problème.
Lors de son décès, en 1824, Josephte-Sabine était âgée, d’après l’acte d’état civil, de 59 ans, ce qui la fait naître en 1765. Sa sœur Claudine-Justine, décéda le 20 août 1841 à l’âge de 76 ans, ce qui la fait naître elle aussi en 1765 !
Dans les registres de baptêmes de Bourg, à l’année 1765, on ne trouve qu’un seul acte au nom de Claudine-Josephte-Sabine (!). Or, dans leurs actes de décès, Sabine et Justine sont toutes deux déclarées nées à Bourg… La seule hypothèse possible est qu’elles étaient jumelles et qu’elles n’ont fait l’objet que d’un seul acte de baptême, ce qui reste pourtant assez invraisemblable.
Les Chossat de Montburon, propriétaires de La Garde
A la mort de Sabine Mantellier, la Garde passa à sa sœur Claudine-Justine, veuve de Claude-François Chossat de Montburon. Celui-ci ne posséda donc pas La Garde lui-même, mais, par son mariage, il la fit entrer dans sa famille par son fils Edouard qui en hérita pleinement au décès de sa mère, en 1841.
« Les Chossat, écrit Révérend Du Mesnil, auteur de l’Armorial de l’Ain, sont originaires d’Etrez en Bresse. - Jean Chossat, président en l’élection de Bourg, le 6 octobre 1637, fut pourvu d’une charge de secrétaire du roi, maison et couronne de France, au parlement de Paris ; il épousa, en 1655, Marguerite Guichard, dont il eut dix enfants, et mourut en 1694. Quatre d’entre eux, Claude, Jean-Baptiste, Jacques et Jean, furent reçus à l’assemblée de la noblesse de Bresse, le 12 mars 1668, et leur descendance y figura constamment depuis cette époque ».
Parmi les enfants de Jean Chossat, deux ont fait branches: Les Chossat de Montburon, qui ont donné eux-mêmes les Chossat de Saint-Sulpice, d’une part, et les Chossat de Montessuy, d’autre part.
Montburon était une seigneurie et un fief de la paroisse de Confrançon que les Chossat avaient acquis des seigneurs d’Attignat, par adjudication du 11 avril 1699. Parmi les possesseurs, on retiendra Jacques-Marie Chossat, écuyer, demeurant à Bourg, qui reprit le fief en 1755. Il est à l’origine de la fortune de la famille grâce aux revenus qu’il tirait de sa charge, et surtout des nombreuses terres et domaines qu’il possédait en Bresse.
Edouard Chossat, « propriétaire rentier », et la reconstruction de La Garde
On ignore la date exacte de la reconstruction de La Garde, mais on a la chance de posséder un dessin de Charles de La Roche, fils naturel du duc de Berry (fils du futur Charles X), montrant La Garde en 1847. Ce dessin est extrait d’un album que La Roche réalisa, au moins en partie, au cours d’un voyage qu’il fit dans l’Ain avec sa fiancée Clara de Bachet, fille adoptive de Jean-Antoine de Bachet, frère de Frédéric.
Ce précieux dessin porte la légende : « Février 1847, La Garde, près de Bourg » « Villa bâtie par Mr de Chaussat sur l’emplacement de l’ancien château de Monsieur de Bachet de La Garde, confisqué et rasé en 1793 comme bien d’émigré ». Ce « Mr de Chaussat » ne peut être qu’Edouard Chossat de Montburon, héritier de La Garde en 1841, au décès de sa mère, Claudine-Justine Mantellier. C’est d’ailleurs aux environs de cette date qu’il commence à habiter à La Garde.
Au décès de son père Claude-François, en janvier 1808, Edouard a 18 ans (il était né le 12 août 1790) et commence déjà à être très riche. Fils unique, il hérite de la totalité des biens de son père, ancien militaire, mais, surtout, en 1805, il a déjà hérité de la moitié de la fortune de son grand oncle Jacques-Marie, l’aîné du clan Chossat, grand propriétaire terrien, seigneur de Montburon avant la Révolution, et possesseur de nombreux domaines et fermages dans diverses communes de Bresse : Beaupont, Chaveyriat, Confrançon, Mézériat, Saint-Denis, Viriat, etc. De plus, sa jeune cousine Marie-Elzarine de Villeneuve d’Ansouis, petite fille du défunt, cohéritière avec lui, mourut dès l’âge de 13 ans, en 1807, et il se retrouva donc seul héritier de toutes ces terres.
En 1808, donc, déjà très riche, Edouard Chossat vit seul avec sa mère Justine Mantellier dans leur domicile de Bourg, rue Bourgmayer, se contentant, peut-on penser, de gérer les revenus de ses domaines. En 1824, sa mère hérite de sa sœur Sabine et reçoit le domaine de La Garde.
1825, Edouard a 35 ans. Le 25 décembre, il épouse Françoise-Adélaïde Baudot de Pagny-le-Château (Côte-d’Or), propriétaire, avec sa sœur, de la moitié du château de Seurre où le couple semble résider pendant quelque temps. En 1827, ils attendent leur premier enfant et reviennent habiter Bourg où le garçon, Adrien-Gaëtan, naîtra le 29 avril 1828. Mais entre-temps, ils ont acheté, le 13 janvier 1828, le château de Dortan avec son parc de 43 ha, pour 50000 f. Edouard et son épouse semblaient bien établis à Dortan où ils habitaient désormais puisqu’ils agrandirent encore ce domaine en acquérant des moulins, battoirs et autres tourneries, ainsi que le bois de Fay à Arbent, de 12 ha, pour 11000 f (1829).
Cependant Edouard n’oubliait pas son pays natal et, si le couple et leur petit enfant, demeurent à Dortan au moins jusqu’en 1834, dès 1832, ils achètent le Pré de la Rivière (env. un ha), au bord de la Reyssouze, pour compléter le domaine de La Garde, sans doute avec le projet de se construire sur ce site une très belle demeure. Peut-être avaient-ils vu la belle et grande villa palladienne des forges de Syam (Jura) réalisée par l’architecte Champonnois de 1826 à 1828.
Edouard et son épouse sont riches, mais il faut encore beaucoup d’argent. Pour en réunir suffisamment, ils vendent, le 24 octobre 1835, la moitié du château de Seurre appartenant à Adélaïde, au profit de sa sœur Elisabeth Rochot pour 17 000 f. Puis et surtout, - et cette date marque peut-être le début des travaux de construction de La Garde -, ils empruntent le 2 mars 1837, la somme de 60 000 f en hypothéquant leur château de Dortan qu’ils avaient fini de payer en oct. 1832.
Le couple voit grand et pour réaliser un parc à la mesure de leur grande villa en construction, ils achètent, en 1837, un domaine « au dessus de la montée de Seillon » (cadastre E 8) avec 4,5 ha de terrain, pour 12 000 f. La même année, ils acquièrent le domaine de La Folie « consistant en maison bourgeoise, bâtimens d’exploitation, cours, jardin, prés, terres, bois […] d’une contenance totale de 14,5 ha env. », pour 20 000 f (3E 23095). C’est à l’emplacement de ce domaine que sera construit, beaucoup plus tard, le Parc des Expositions de Bourg. Pour compenser ces nouvelles dépenses, sans nuire à la construction, le couple emprunte en janvier 1838, 23000 f en hypothéquant le domaine du Portail à Péronnas appartenant à Justine, la mère d’Edouard, et vend des terrains à Saint-Denis pour 4000 f. En 1839, nouvel achat pour compléter le parc : le Champ de Bouvent de 2,37 ha.
Mais l’achèvement de la construction demande encore de grosses sommes et les époux Chossat contractent deux nouveaux emprunts, le 5 avril 1840, de 22000 f. en hypothéquant leur château de Dortan (3E 23116), et le 15 juin 1841, celui de 40000 f. en hypothéquant le domaine de Montadray à Beaupont. Ces deux emprunts seront encore suivis, le 3 janvier 1842, de la vente d’une maison rue de la Pompe-Bourmayer à Bourg, pour 10000 f. au profit de l’archiviste Jules Baux. Enfin, le 23 août 1843, ils vendent encore divers terrains à Péronnas provenant de la mère d’Edouard, pour 4800 f. A partir de cette date, 1843, la villa parait terminée puisqu’on ne relève plus ni emprunts ni vente et que le couple semble déjà l’habiter. Malgré toutes ces dépenses, le couple n’est pas ruiné, loin de là, car il possède encore le château de Dortan avec son grand parc et ses dépendances. Mais finalement Dortan sera vendu, le 2 novembre 1848, pour 75 000 f.
Le recensement de 1846 indique qu’il y avait alors à La Garde une vingtaine de personnes vivant au domaine : Edouard, son épouse et leurs trois enfants : Jean-Edouard, Adrien-Gaétan et Béatrice, plus le cocher, et trois domestiques ; mais il y avait aussi un « homme d’affaires », Gabriel Marion, sa femme, sa fille et sa belle-mère, et encore les fermiers : le couple Beyréziat avec ses cinq enfants et un domestique. En 1856, « l’homme d’affaires » est devenu concierge…, et on voit apparaître un garde particulier avec sa famille. Par ailleurs les Chossat ont maintenant une cuisinière.
Edouard mourut le 15 mai 1861. Sa veuve lui survécut jusqu’en 1873 et resta à La Garde avec leur deuxième fils Adrien-Gaétan. L’aîné Jean-Edouard s’était marié avec Elisabeth Maillé et vivait à Lyon et au château de Châteauvieux à Neuville-sur-Ain. Quant à la fille cadette, Béatrice, elle épousa en 1863, Clément Copin de Miribel, polytechnicien, et vivait au château de Montbonnot en Isère.
Adrien-Gaëtan Chossat de Montburon et sa famille
Adrien-Gaëtan, né à Bourg, le 29 avril 1828, s’engagea dans l’armée en 1848 et devint sous-lieutenant de chasseurs à cheval. En 1866, il prit pour épouse, Marie-Antoinette-Gabrielle Puvis, née en 1846, et donc de 18 ans sa cadette. C’était la petite-fille du célèbre Marc-Antoine Puvis (Cuiseaux, 1776 - Paris 1851), polytechnicien, lieutenant d’artillerie au camp de Boulogne (1803-1804), chevalier de la légion d’honneur, président de la société d’Emulation, maire de Bourg, et député. Agronome distingué, il introduisit la culture du trèfle, le marnage, des fruits nouveaux etc. Il était l’auteur de nombreux écrits dont une « Dissertation sur l’église de Brou ». ou des « Lettres sur l’éducation des vers à soie », 1839, ou encore « Des causes et des effets de l’insalubrité des Etangs », 1851. Connaissant Edouard Chossat, il a pu jouer un rôle sur la constitution du parc de La Garde.
Le couple habitait à La Garde et à Bourg même, 5 rue des Ursules, où d’ailleurs Adrien mourut le 11 janvier 1896, à l’âge de 67 ans ; il est alors qualifié seulement de « propriétaire ».
Sa mère, Françoise Adélaïde Baudot, était morte en 1873 à son domicile, 35 faubourg Saint-Nicolas.
De son épouse Marie-Antoinette-Gabrielle Puvis, Adrien-Gaétan eut trois enfants:
1 — Marcelle-Marie (1869-1931), mariée, le 2 avril 1891, avec Claude de Toytot de Rainans (1860-1922).
2 — Jean-Edouard-Adolphe (1867-1939) qui hérita de La Garde.
3 — Charles-Adrien (1871-?) qui s’établit à Pagny-le-Château (Côte-d’Or), pays de sa grand-mère Françoise Baudot. Il était agent d’assurances en 1923.
Pour résumer la vie d’Adrien-Gaëtan, on peut lire l’article qui parut, lors de son décès, dans le Journal de l’Ain, en janvier 1896:
« La ville de Bourg vient de perdre un de ses citoyens les plus estimés, M. Adrien Chossat de Montburon , décédé samedi dans la 68e année de son âge.
Sa famille est des plus anciennes ; un de ses ascendants figure sur les plaques commémoratives des bienfaiteurs de l’hôpital à la date de 1710. Les Chossat de Montburon et les Chossat de Saint-Sulpice avaient, sous l’ancienne monarchie, le titre d’écuyer.
M. Adrien Chossat de Montburon s’engagea en 1848 ; après avoir passé par tous les grades inférieurs, il devint sous-lieutenant de chasseurs à cheval avant la fin de son engagement et donna néanmoins sa démission.
En 1870, il fut élu commandant de la garde nationale de Bourg.
Homme modeste, bienveillant, et d’une grande sagacité, il fut élu conseiller municipal en 1888, dans un temps où le suffrage universel semble s’attacher à écarter les plus dignes, c’est à-dire ceux que leur caractère et leur fortune rendent indépendants; on connut alors quelle était sa popularité, surtout dans le voisinage de sa propriété de la Garde, où il allait tous les jours.
On se rappelle la sortie vigoureuse que lui inspira au conseil municipal son bon sens, joint à son expérience d’ancien officier contre une erreur alors fort à la mode, celle des bataillons scolaires. « Je n’aime pas, dit-il, à voir le drapeau de la France traîné dans les rues par des gamins qui s’en amusent comme d’un jouet ». Personne n’osa répliquer. La subvention annuelle en faveur des bataillons fut votée néanmoins, mais ce fut la dernière fois.
M. Chossat de Montburon faisait depuis longtemps partie du conseil de fabrique de l’église Notre-Dame et de la Commission administrative de la Caisse d’épargne de Bourg.
Les obsèques de cet homme de bien ont lieu au moment où nous imprimons ces lignes. On peut dire que toutes les classes de la société s’y sont réunies.
Les cordons du poêle sont tenus par MM. Durand de Chiloup, Ducret de Lange, Léon de la Bastie, président du conseil de fabrique, et Parent, médecin-major en retraite.
Que cet hommage universel soit un allègement à la douleur de la nombreuse famille de M. Adrien Chossat de Montburon, et un encouragement à continuer de nobles et glorieuses traditions ».
La fin des Chossat de Montburon à La Garde : Jean-Edouard-Adolphe
Jean-Edouard-Adolphe, était le deuxième fils d’Adrien-Gaétan. Il est né le 28 septembre1867 ; le témoin fut François-Antoine-Adolphe Puvis de Chavannes, 49 ans, maire de Champagnat (S.-et-L.). Il habitait dans la grande maison avec parc de la rue des Casernes qu’il tenait de sa mère Gabrielle Puvis, et à La Garde dont il hérita en 1923. A cette date, le « Clos de La Garde » était une maison de maître appelée « Château » de la Garde, et un parc entouré de murs pour une superficie de 55 hectares environ.
Jean-Edouard avait épousé, le 6 août 1894, Marie-Jeanne Nouvellet, âgée de 21 ans, née à Lyon. Il était agent d’assurances, comme son frère, Charles-Adrien.
Comme son autre frère Raymond-Henri-Gabriel, fondateur du fameux Garage Rouge alors Place Carriat, et distributeur exclusif de la marque Citroën pour l’Ain (1919), il était passionné d’automobile.
La Garde est vendue après sa mort survenue le 16 juillet 1939.
On doit à Jean-Edouard un Guide de l’Automobiliste et du Cycliste dans le département de l’Ain publié sous le patronage des sociétés dont il faisait partie : L’Automobile-Club de l’Ain, la Société d’Emulation, la Chambre de Commerce de Bourg et le syndicat d’initiative. La société Gorini en fit l’éloge dans son numéro 87 de 1934:
« Chaque chef-lieu de canton est pris comme centre d’excursion aux environs, avec différents itinéraires, les distances, les curiosités historiques et naturelles à visiter. Le texte est très lisible et s’il n’est point accompagné de carte, il se réfère à la carte Michelin que tous les automobilistes possèdent.
« La Société Gorini offre ses félicitations et ses remerciements à l’auteur en souhaitant plein succès à son livre. C’est un vrai service que M. Chossat de Montburon rend non seulement aux touristes en général, mais en particulier aux membres de notre Société qui, pour un travail de recherches, auraient à se rendre dans les localités pour y examiner les monuments religieux ou y consulter les archives paroissiales et communales. Nul n’ignore que la difficulté des voyages est un obstacle à ce genre d’études. Avec le Guide de M. Chossat de Montburon ces difficultés seront bien aplanies ».